C’est en tout cas bien ce qu’annonce sur Telegram le magazine Moskvichka. Officiellement, il s’agissait d’un événement privé et réservé à une élite, tenu secret par le magazine jusqu’au dernier jour, qui permettait la rencontre entre Gaspar Noé et diverses personnalités russes liées au monde de la culture, du divertissement ou de la communication.
Parmi quelques invités que nous avons pu identifier : la costumière Svetlana Bondartchouk, le peintre Pavel Pepperstein, la journaliste Maria Morgun, le producteur Sergey Ilyevskiy (producteur délégué de Jeanne du Barry, il dirige les sociétés de distribution Arthouse - qui a distribué Vortex - et sa branche plus grand public Artmainstream), l’acteur Alexandre Gortchiline (qui a joué à plusieurs reprises chez Serebrennikov, notamment Leto et La Femme de Tchaïkovski), le réalisateur Aleksey German Jr. (Dovlatov, primé à Berlin)
Les raisons de l’invitation ? Parler d’arts et de “la nécessité de préserver des liens familiaux”, en montrant le travail de son père qui pourrait ainsi être amené à exposer à Moscou. La soirée s'est tenue au restaurant Aïna, à Moscou et a été organisée conjointement par Arthouse, l’agence K2 et le magazine Moskvichka. Et si Gaspar Noé viendra présenter Vortex lors de la Semaine Internationale du Cinéma de Moscou, reste à savoir qui du festival ou du magazine l’a invité en premier.
Point commun entre l’agence et le magazine ? Une certaine Kristina Potupchik.
Fondatrice de l’agence, elle est aussi à la tête de la maison d’édition Rare Books Publishing qui édite le magazine - c’est également elle qui a eu l’idée de le lancer, pour redorer le blason de la Russie après les sanctions occidentales et avec l’approbation du Kremlin.
Il faut dire que son parcours n’a fait que montrer son approbation du régime de Poutine. Car après avoir été porte-parole de la Nashi (qui orchestrait des attaques cybercriminelles pour faire taire les opposants), elle n’a jamais cessé de se servir de son influence. D’ailleurs, si elle a fait partie des personnalités sanctionnées par l’Ukraine pour son profil de propagandiste (sic), la Fondation Anti-Corruption (ACF) signale qu’elle a reçu de l’argent directement de l’État et corrompu des influenceurs et personnalités pour promouvoir un discours pro-Kremlin.
Il n’est donc pas surprenant de voir des profils d’invités (pourtant peu nombreux) comme celui de Alexander Shenkman, président de AmediaTV et vice-président de l’Euro-Asian Jewish Congress, organisme qui n’a jamais condamné l’escalade de la violence depuis les attaques du Hamas et perpétué par Netanyahou, pourtant largement critiqué par la Cour Internationale de Justice ainsi que la Cour Pénale Internationale. Shenkman s’affiche régulièrement aux côtés d’hommes d’État comme le député Viatcheslav Nikonov ou le ministre de la Communication Alexander Volin.
Bien sûr, plusieurs des invités se sont exprimés en affirmant que la culture est toujours plus forte que la politique — et c’est d’ailleurs le discours adopté sur Instagram par la rédactrice en chef du magazine, Darina Alexeeva.
Mais peut-on être “apolitique” dans un tel contexte ? Selon RTVI (média d’actualités russe), Gaspar Noé serait la deuxième personnalité mondialement connue à venir depuis les opérations militaires de 2022, après Kanye West très récemment. Et on ne voit pas comment sa visite de la Place Rouge, et celle d’un studio de cinéma récemment construit, ne participe pas au soft power du Kremlin.
Certes, Gaspar Noé ne s’est jamais beaucoup soucié des questions politiques. Mais ses rares interventions sur le sujet, généralement antiracistes (les pétitions contre les lois Pasqua-Debré en 1997, son refus catégorique de participer à la tournure raciste que prenait un spot qui lui était commandé par l’État en 2004, l’appel de Calais en 2015 pour dénoncer le sort réservé aux réfugiés, ou le mois dernier, le fait qu’il ait envisagé de participer à un film anti-extrême droite initié par Marjane Satrapi) et l’inclusivité des castings de ses films (plus particulièrement Climax) apparaissent comme contradictoires avec la politique menée par Vladimir Poutine, dont le ministère de la Culture avait refusé au distributeur la sortie en salles de Love en raison de ses “nombreuses scènes pornographiques”.
Si nous n’avons pas à dire comment Gaspar Noé doit agir ni où il doit circuler, nous souhaitons toutefois nous exprimer publiquement : nous ne pouvons cautionner, au nom de l’art, le fait de donner des armes de communications à des ennemis politiques. Car ici, il ne s’agit pas uniquement d’une participation à un festival de cinéma, mais d’événements entièrement dédiés à son nom : Moskvichka lui a même proposé d’être en Une de son prochain numéro.
Vincent Maraval, ami et producteur de Gaspar Noé, toujours très critique envers Emmanuel Macron qu’il compare au “dictateur Vladimir Poutine”, quant à lui, ne s’est pas exprimé sur la question… Mais si Gaspar Noé ou même ses producteurs souhaitent s'exprimer à ce sujet, ils savent où me joindre.
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